Franck - Elle est encore
ouverte cette porte ! Je l’avais pourtant
fermée
à clé. Ce Vincent, quelle tête en l’air !… Vincent, la porte de la librairie
doit rester verrouillée, c’est mieux ainsi. Je t’en ai déjà expliqué
les raisons.
Vincent - Ah ah ah ah ah ! Hi hi hi hi hi !... Ouh ouh ouh! Qu’est-ce
qu’il
est drôle !
Franck - Pourquoi se
marre-t-il ainsi ? Vincent, qu’est-ce qui te fait
rire
? Attends, je monte. Je veux en profiter… Oh ! Tu fumes de
l’herbe
tout seul dans ton coin, sans me prévenir. T’es vache !
Vincent - Je ne fume pas
tout seul, l’échevelé m’accompagne et il
aime
ça, il vient de me griller la moitié du cône.
Franck - Bah ! En quel
honneur lui as-tu enlevé son bâillon ?
Vincent - Pour qu’il puisse
taffer sur le pétard tiens, pardi ! Non, je
déconne.
Il ne l’avait plus quand je suis sorti des toilettes, mais nous
aurions
dû le laisser s’exprimer depuis longtemps, car il est sacrément comique,
je t’assure… Allez-y, racontez à Franck ce que vous venez de
me dire. Eh bien ! N’ayez pas peur de parler, c’est Franck il ne va pas
vous manger. Je crois que tu l’impressionnes. Bon ! Je vais le dire à
sa place… Monsieur veut que nous mettions au plus vite le corps dans
la glace, avant qu’il ne soit trop tard pour cela… Attends attends ! Ce
n’est pas fini… Ah ! Par contre, celui-là tu peux le finir si tu veux. Je
vais en rouler un autre, il me reste du mélange. Tu m’envoies le papier
s’il te plaît, il doit être derrière toi. Merci !… Alors, ensuite, il a essayé
de me faire comprendre qu’il venait d’une étoile et que son engin
spatial était planqué dans la forêt et qu’il fallait que personne ne le
découvre… Je pense qu’il a dû entendre ce que disait le susceptible invisible
et il le répète, comme un perroquet. C’est ça l’échevelé, je ne me
trompe pas ?
Franck - Mais de quel corps
parle-t-il ?
Vincent - Je n’en sais rien,
il délire. Je n’aurais jamais dû lui proposer le
joint, il y a des gens qui ne le supportent pas. Il se pourrait qu'il ne fume
même pas de clope ? Alors, commencer par un pétard ce n’est pas
forcément évident à encaisser. Avant d’essayer de le refaire parler nous
allons attendre un peu, qu’il reprenne des forces… Regarde la tête
d’endormi qu’il nous offre, comment veux-tu le prendre au sérieux
? Il est bien entamé le pauvre gars. Tiens, Franck ! Allume le calumet
de la paix et fais attention, il est chargé… L’échevelé, vous n’allez
pas nous lâcher, j’espère ? Ho ! Ça va toujours ?
Gotuma Elin - Je m’appelle
Gotuma Elin.
Franck - C’est bien ! Moi,
c’est Franck. Tu vois, ma présence ne
l’incommode
pas, il fallait simplement lui laisser le temps de trouver
ses
mots, c’est tout.
Vincent - Qu’il est mou.
Franck - Encore ?
Vincent - Quoi !… Hein ? Ce
n’est pas moi. Je ne suis pas responsable je
n’ai pas bougé de ma place, tu as bien vu.
Franck - Alors, si ce n’est
pas toi, qui est-ce ?
Vincent - Pourquoi parles-tu
à voix basse, tu peux hausser le ton. Tu crains
que Gotuma t’entende ? N’ai pas peur, il n’a pas l’air bien
méchant.
Franck - Je ne sais pas de
quoi il a l’air, en tout cas il s’amuse à
vouloir
nous effrayer. Et nous devrions, je pense, lui remettre son
bâillon
et sortir de là au plus vite.
Vincent - Franck, revient et
arrête de t’angoisser s’il te plaît, tu en
deviens
ridicule. Où vas-tu ? Sois vigilant, tu ne te diriges pas vers la sortie,
mais vers les toilettes. Tu es grave, tu devrais cesser de fumer, toi
aussi. L’escalier est à gauche, pas à droite, tu as remarqué ?... De quoi
t’inquiètes-tu ? Assieds-toi. Tu es tout blanc avec des yeux rouges exorbités,
tu es en train de nous faire un malaise. Je t’avais prévenu que
ce pète était chargé, tu aurais dû t’en méfier et taffer moins fort dessus.
Respire profondément cela te fera du bien, profite puisque la porte
est grande ouverte.
Franck - Oui, la porte est
grande ouverte, justement ! Et cela ne te fait pas
flipper plus que ça, parce que je suis persuadé de l’avoir fermée à double
tour il n’y a pas dix minutes.
Vincent - Écoute, tu penses
sérieusement que je peux encore avoir la trouille
avec tout ce que j’ai vu et entendu dans ma journée ?… Pose tes
fesses à côté de moi, tranquillise-toi et profite de la situation. Inhale l’air
pur de la nuit. On est bien, prête ton oreille il n’y a pas un bruit dans
la rue, on perçoit juste le bruissement des feuilles secouées par la brise
nocturne, c’est agréable, non ? Tu ne sais rien apprécier, c’est une
aubaine que Gotilla ait été ouvrir cette porte, on commençait à ne plus
rien y voir avec toute cette fumée… Scrute Franck, Gotilla est blafard,
avec ses yeux globulars entourés de noir et ses dents bizarres, on
dirait tu sais quoir ? Un vampare. Crois-tu qu’il va nous mordre ce soir
? Harrrkcheee ! Harrrkcheee ! Tu commences à me foutre la
frousse
Franck, sors les gousses, Harrrkcheee ! D’ail.
Franck - Aïe ! Tu me
graffes fais gaffe, euh ! Tu me griffes…Tu lui
passes
encore le pétard ? Enfin, au stade où il en est, un peu plus ou un peu
moins de toute façon…
Vincent - Vous respirez
encore Gotilla ? Ah oui ! Il a meilleure mine. Tu
vois Franck, il a eu raison de faire entrer de l’air dans la pièce, ça lui
redonne des couleurs. Mais il commence à faire froid. Vous aimez le
froid, Gotilla ?
Gotuma Elin - Il
faut mettre son corps dans le froid.
Franck - Laisse Vincent, je
m’en occupe. Je vais lui demander
pourquoi
il nous dit ça, j’ai l’habitude… Gotilla, de quel corps s’agit-il, de
quelqu’un de vivant ou de mort ? Regardez-moi dans les yeux et réfléchissez
à ce que je vous dis, s’il vous plaît… Et, la porte en bas, comment
avez-vous pu l’ouvrir de votre place sans bouger votre derrière
?
Vincent - Franck, si tu
mélanges tout il ne va rien assimiler. Cause-lui d’abord
du mort dans la glace, cela me paraît plus important pour l’instant
que de lui parler de ton courant d’air. Ne le brusque pas, j’ai peur
qu’il nous claque entre les mains, je le sens épuisé… C’est surprenant,
touche ! Tu ne trouves pas qu’il est tout froid ? En tout cas il
n’a pas la fièvre… Non mais ! Compare avec moi, pose ta main sur mon
front. Il est glacé le sien à côté, non ?… Vous avez la forme Gotilla,
ou pas ? Vous êtes trop froid pour que cela soit normal, voulez-vous
que l’on ferme la porte ?… Observe Franck, je vais réaliser
une expérience sur lui. Je lui prends le bras délicatement, je le lève
vers le plafond, comme cela et, hop ! Je le laisse retomber… Tu as
vu, il réagit comme si son bras était sans muscles, ça veut dire qu’il est
décédé ?… Mais où est-il parti ? Franck, où te caches-tu ? Rapplique
de suite, l’échevelé est passé de vie à trépas. C’est Confirmé
! Je viens de tâter son pouls, il ne bat plus… Quoi que ? Non non,
c’est bien ça, aucune pulsation par minute… Franck ? Tu as eu raison
du coup, de te barrer. Je vais en faire autant si ça continue, parce
que tiens-toi bien, mais alors tiens-toi bien ! Plus rien ne fonctionne
dans Gotilla, ni son cœur ni sa langue et cela ne l’ennuie absolument
pas de continuer à tirer sur notre joint comme une vraie cheminé.
C’est super ébouriffant !… Par contre, il y a une bonne nouvelle
dont nous devrions nous réjouir, c’est qu’il nous refait plus les
crises de braillement du début. C’est bon signe Franck, qu’en penses-tu
? C’est positif,
hein ? Oh ! Tu entends ce que je te dis,
Franck
?… Attendez Gomilla, ne bougez pas je reviens, je vais voir où se
cache mon copain… Afffouh ! Tu viens de me faire sursauter. Mais qu’est-ce
que tu faisais, je t’appelle depuis tout à l’heure et tu ne me réponds
pas. Je croyais que tu étais sorti prendre l’air. Tu ne
m’entendais
pas, des toilettes ? Ils ne sont pourtant pas bien loin… Tu ne
dis rien Franck, tu n’as rien à me répondre ? Tu m’inquiètes, parle voyons
!
Gotuma Elin -
Pourquoi voulez-vous qu’il vous parle ?
Vincent - Vous avez retrouvé
votre langue, Gomilla ? Ce n’est pas trop tôt
! J’aimerais qu’il me parle parce que je lui parle et c’est la moindre des
politesses que de répondre quand en face de vous quelqu’un vous adresse
la parole.
Gotuma Elin - Il n’y
a personne devant vous. C’est l’autre qui nous
joue
des tours. Toute l’après-midi il s’est amusé à cela, avec moi.
Vincent - Que vous
arrive-t-il ? Vous transpirez à grosses gouttes.
Mais
vous êtes bouillant !… Qui nous joue des tours, dites-vous ?
Gotuma Elin - Tout a
commencé dans les toilettes, il y avait un livre
qui
se trouvait en équilibre, sur le rebord de l’étagère… Je ne vois pas d’autres
raisons à tout cela.
Vincent - Je ne saisis pas où
vous voulez en venir Gomilla, on dirait
qu’il
manque un bout à votre l’histoire. Vous avez sûrement oublié un passage,
reprenez après le mot, étagère, si vous le voulez bien… hein ? Parlez
plus fort !… Quelqu’un a fait quoi ?… Tombait un livre sur le sol,
c’est ça ? Et, il s’est cassé en mille morceaux, comme un flacon de parfum.
Pourquoi s’est-il brisé comme du verre ?… Gotima, secouez vous !
Vous avez une attitude en dent de scie, vigilant par instant et cuit
par la suite. Vous donnez l’impression que vous allez y rester… Franck,
je crois que la santé de Gotima défaille.
Gotuma Elin - Mais
arrêtez-vous ! Il n’est pas là je vous dis.
Vincent - Très bien, il n’est
pas là ! Alors, où est-il et pourquoi y a-t-il son
sosie, debout, derrière moi, en haut de l’escalier ? C’est curieux ça
! Si vous avez des choses à dire, eh bien dites-les, c’est le moment ou
jamais, non ? Ou sinon taisez-vous !
Gotuma Elin - Vous
croyez que j’ai réponse à tout ? C’est lui qui tient les
ficelles de tout ça, pas moi. Il écrit votre histoire, notre histoire, dans
son livre de parfum. Il peut y intégrer des personnages réels ou qui
ne sont qu’illusions, comme l’image de votre ami. Il agit selon son humeur
vous êtes dans son récit, il possède le livre de notre existence…
Il s’est brisé dans les toilettes, tout à l’heure. Sentez-vous ?
Inspirez, ça sent encore le jasmin… Où allez-vous ? Vous transpirez
vous aussi.
Vincent - Je vais dehors, il
fait chaud ici… Pousse-toi Franck, ne reste pas
dans le haut de l’escalier, tu gênes. Laisse-moi passer s’il te plaît, je
dois descendre dans la rue, prendre l’air.
Franck - Vincent ?…
Vincent, cela ne t’ennuierait pas de descendre
me
rejoindre cinq minutes… Je tente de saisir comment il a pu ouvrir cette
porte. Regarde, je la ferme bien avec, un, deux tours de clé. Vas-y, à
toi, essaie de l’ouvrir… Alors, par quel mystère l’ai-je retrouvée grande
ouverte ?
Vincent - Je ne sais pas,
mais il y a plus drolatique je t’assure, tu
cohabites
avec toi-même dans ta librairie… Ha ! Cela t’en bouche un coin,
n’est-ce pas ? Comme si un Franck ne suffisait pas !… Je peux aller
dehors respirer, merci. Je vais en profiter pour regarder
discrètement
si l’autre nous surveille toujours, de sa voiture.
Franck - Oui oui, il est
bien dans sa voiture ! J’ai été faire un tour sur le
trottoir il n’y a pas cinq minutes, par curiosité. Toujours fidèle au poste,
le bonhomme… Psitt ! Vincent, revient vite et ne fais pas de bruit.
Il y a l’échevelé qui parle tout seul… Approchons-nous du
bureau
pour l’écouter…
Gotuma Elin -
Énergie de l’espace infini qui fait tourner la terre et qui plane
au-dessus de nos têtes, je t’attire vers moi et remplis mon âme de ton
essence magique…
Franck - On dirait qu’il
récite un texte sacré.
Vincent - Chut ! Franck, il
va nous entendre.
Gotuma Elin - Je ne
suis pas ce par quoi le monde me désigne, mon
nom,
mon corps, mes sentiments et mes pensées, car bientôt ils auront pris
fin. Mais je suis éternellement, je suis celui qui maîtrise ses enveloppes,
je suis au-dessus et au-delà d’elles. Mon moi individuel véritable
commence là où cesse l’activité de mon esprit-cerveau. Qui suis-je
? Maintenant je fais le silence dans mon esprit, je n’éprouve plus
l’envie de penser. Maintenant le ciel de ma conscience est dégagé, exempt
de tout nuage-pensée. Maintenant je suis libre, je suis au-delà de
tout, je suis sorti de mes corps et de la planète entière, ils n’ont plus aucune
existence car ils n’étaient qu’un rêve de mon esprit. Maintenant
je me suis réveillé de ce rêve, autour de moi il ne reste rien que
l’espace infini, je suis comme cet espace : sans fin. Maintenant plus
rien ne peut m’atteindre, je n’ai plus ni de forme ni de nom, j’ai oublié
mon rêve terrestre, je suis la vie infinie qui imprègne tout. Je suis,
je suis tout.
Vincent - Mince ! Je n’ai
pas tout entendu ce qu’il nasillait. Ce doit
être
une incantation religieuse, qu’en dis-tu Franck ?
Franck - Non non ! Ça n’a
rien à voir, c’est beaucoup plus sérieux
que
ça.
Vincent - Il est étrange
Gotulla, tu n’es pas de mon avis ?… Ho
Franck!
Elle fonctionne ta machine à café ? Super ! Je vais me
préparer
une petite tasse, bien corsée. Tu en voudras ? Ça va nous
aider
à rester éveillé… Tu ne crois pas que nous devrions appeler
Guillaume
? Je ne sais pas ce qu’ils fabriquent, je les trouve un peu
long…
Où vas-tu ? Ah ! Tu montes te laver les mains. Tu pourras
augmenter le
chauffage en revenant, s’il te plait.